FRANÇAIS  

Joachim Kniepstof

Joachim Kniepstof est né en 1967. Cette année-là, je faisais des études à l’Académie des Beaux Arts à Amsterdam et je devais faire une sérigraphie : une affiche avec un slogan. J’inventai un personnage joyeux, coiffé d’un chapeau melon au bord large, qui était assis sur la coquille d’un énorme escargot des vignes. En dessous, j’écrivis : LISEZ LES AVENTURES DE JOACHIM KNIEPSTOF!
Je n’avais aucune idée de la suite de l’histoire de ce nouvel héros, ni de la tournure que prendraient ses aventures. Mais une chose était sûre dès le départ : mon héros pourrait se métamorphoser à ma guise. Cependant, Joachim Kniepstof somnola pendant cinquante ans, jusqu’à ce que je l’ai réveillé, il y a quelques années, dans une bande dessinée expérimentale qui porte son nom.

Les conventions de la BD
Toute ma vie adulte je n’ai pas seulement visité des musées et lu des livres d’art, j’ai également continué à lire les bandes dessinées. À l’Académie, c’était Tintin, Lucky Luke, Astérix et Gaston Lagaffe ; plus tard je lisais de préférence des livres américains dans le genre underground comics. Je regardais ces livres surtout d’un point de vue artistique. J’admirais la ligne claire et précise d’Hergé dans les aventures de Tintin autant que l’habileté et la spontanéité avec laquelle Franquin dessinait son Gaston Lagaffe. Et dans les dessins d’Uderzo j’admirais l’ingéniosité avec laquelle il représenta Astérix et Obélix se promenant dans des paysages qui évoquent les peintures de Pieter Brueghel l’Ancien.
Mais, tout en appréciant leur génialité, je ressentais une certaine frustration.
Ce qui me dérangeait surtout, c’était que l’apparence de leurs héros dessinés ne changeait jamais : au fond ils portaient tous un uniforme. Donald le Canard, par exemple, depuis presqu’un siècle, porte toujours le même costume matelot. Et en ce qui concerne Tintin, ce n’est que très exceptionnellement – et seulement quand le déroulement de l’histoire l’impose – qu’il échange son pull et son pantalon de golf pour d’autres vêtements. Il est quasiment impensable que, sans raison apparente pour le narratif, les personnages laissent pousser une barbe, décolorent leurs cheveux, ou sortent de leur caractère unidimensionnel.

Un anti-héros
Avec Joachim Kniepstof, je joue avec les conventions du genre. Mon protagoniste est un anti-héros solitaire qui ne veut rien et n’aspire à rien. Il n’a pas de fidèle compagnon quadrupède, ni d’ami de coeur. Il n’est pas non plus doté d’une personnalité particulière, ou de traits de caractère remarquables, et jamais ses motifs ne deviennent clairs. Au contraire, il semble errer dans un pays de rêve dans lequel il paraît et disparaît sans raison apparente. Et de plus, il change régulièrement d’apparence, car parfois je le dessine d’une façon réaliste, et d’autres fois de manière caricaturale. Mais, grâce à son chapeau, il reste toujours reconnaissable.

Une aventure
Pour moi la création du livre était une aventure dont je ne pouvais pas – et ne voulais pas – prévoir le déroulement exact. C’est pourquoi j’ai travaillé sans scénario.
Seulement la technique et la mise en page étaient décidés d’avance : du papier gros grain et un crayon graphite (gradation B8) ; des cadres bien définis et une alternance de dessins élaborés et d’images qui se limitent à des contours bien définis.
 Pendant que je travaillais sur le livre, les images se bousculaient dans ma tête. J’avais l’impression qu’elles ne provenaient pas de mon imagination mais d’une réalité cachée où elles avaient toujours existé. Cela explique pourquoi on y voit toutes sortes d’archétypes, de symboles et de représentations qui figurent également dans mes autres oeuvres : oeufs, serpents, “poissons-éléphants”, l’oiseau Phénix, la Tour de Babel, des échelles, des volcans, des montgolfières. De même, le sujet de la Shoah, autour duquel j’ai crée bon nombre d’eaux fortes dans le passé, se glissait dans les dessins. Il est difficile – sinon impossible – de raconter une histoire cohérente à partir des séquences d’images, comme c’est le cas pour les rêves, les hallucinations ou les cauchemars.

Images énigmatiques
Maintenant que le livre est terminé, les séquences d’images me semblent toujours aussi énigmatiques qu’au moment que je les dessinais. Bien sûr, j’en suis le créateur, mais le processus de création se déroule juste en dessous de mon niveau de conscience.
Ainsi, je suis resté fidèle au boussole que j’ai suivi invariablement depuis le moment où, à l’âge de quatorze ans, j’ai commencé à dessiner.

Frank Porcelijn (traduit du néerlandais par Marianne Bartman)

Une histoire énigmatique autour d’un anti-héro nommé Joachim Kniepstof contée à travers des images intraduisibles.

Joachim Kniepstof est le personnage principal d’une série de dessins à laquelle l’artiste et graphiste Néerlandais Frank Porcelijn s’est consacré pendant plusieurs années. A partir de cette figure fictive il a crée une oeuvre majeure qui consiste en un empillage d’associations magiques évoluant de manière imprévisible. Bien que la cohérence des images soit perceptible, il est presque impossible de la cerner, comme dans une poésie moderne ou une composition musicale.
Cette oeuvre unique et originale est à présent disponible sous forme de livre dans une édition limitée.

Naissance du film
Le cinéaste Andras Hamelberg a tout de suite été frappé par le caractère cinématographique des dessins. Il est interpellé par l’univers insaissable de Joachim Kniepstof qui est peuplé d’archétypes, de symboles mythologiques, et de références à des thèmes bibliques et d’icônes récents de l’histoire de l’art. Les formes et le sens des séquences d’images sans paroles se transforment sans cesse. Les cadres bien définis excitent son esprit créatif. Serait-il possible de traduire ces cadres avec leurs formats différents – carré et rectangulaire, petit et grand – et leurs orientations paysage et portrait dans un cadre cinématographique qui par définition est immuable? Il a décidé de relever le défi.

La complicité entre l’artiste Frank Porcelijn, le cinéaste Andras Hamelberg et le musicien-compositeur Daan Kampman est à la base du projet de film. Les trois artistes imbriquent les images, la technique cinématographique et le son afin de réaliser un film expérimental qui transcende les catégories habituelles. Au lieu d’enchaîner les dessins pour créer un film d’animation, ceux-ci servent de rush cinematographiques mis en mouvement par la technique de montage adoptée. La bande sonore est composée à partir de sons et de bruits tour à tour doux et effrayants. Les préparatifs sont en cours et le résultat final, un film de quinze minutes, sera présenté comme court-métrage dans des théatres d’art. La bande-annonce du film est disponible sur Vimeo et You Tube et a déjà suscité beaucoup de réactions enthousiastes.

Saskia Vartouhi, Amsterdam 2019

 

 

Petite causerie avec Frank Porcelijn à propos de Joachim Kniepstof

Propos recueillis par Catherine Delamarre

 

Cher Frank, Joachim Kniepstof est-il un livre thérapie ? Un conte philosophique, initiatique ?

Pour moi ce livre est l’aboutissement de tout ce que j’ai créé dans ma vie d’artiste. J’ai commencé ce projet sans idées préconçues. Je voulais que l’histoire se développe comme dans les rêves : de manière abstraite en termes de contenu, irrationnelle dans son cours et suivant une logique propre.
Pour comprendre et apprécier le contenu il ne faut pas se poser trop de questions sur sa signification. Mieux vaut se concentrer sur la cohérence des associations entre les images. Ce ne sont pas les illustrations d’une histoire qu’on peut raconter en paroles. C’est un livre destiné à être regardé, il faut s’abandonner comme on s’abandonne quand on écoute un morceau de musique. En tout cas, chaque association que vous avez en tant que ‘lecteur’ est juste, toute interprétation est la bonne.
Mais pour moi c’est avant tout et surtout un livre d’art.

Comment vous est venue l’idée de ce livre de dessins ?

J’ai inventé le personnage de Joachim Kniepstof il y a plus de cinquante ans, quand j’étais étudiant à l’Académie d’art. Presque aussitôt j’ai pensé que ce serait un excellent personnage pour une BD. Et puis j’ai mis ce projet de côté pour me consacrer à l’art seul. Cependant, le personnage imaginaire de Joachim Kniepstof somnolait toujours dans mon inconscient.
Je venais de terminer une longue période au cours de laquelle j’avais réalisé des images en céramique sur le thème de la tour de Babel quand en 2014 j’ai découvert par hasard le Congrès des Bêtes de Jim Woodring, un dessinateur que je ne connaissais pas. C’est une BD surréaliste, fascinante et excentrique comme je n’en avais jamais vu, sans dialogues ni textes explicatifs juste des images, presqu’ entièrement en noir et blanc.
Joachim en moi est sorti instantanément de son sommeil et je savais quel allait être mon projet suivant. Le moment était venu pour une nouvelle aventure artistique : dessiner le monde de Joachim Kniepstof !

A-t-il été le fruit d’un long travail ?

Le livre lui-même est le fruit de quatre ans de travail. Mais comme il contient presque tous les thèmes importants que j’ai traités au cours de ma vie artistique, y compris ceux de mes dessins d’enfance, je le considère comme étant l’aboutissement de tout mon travail d’artiste.

En avez-vous fait plusieurs versions ?

Le livre compte 122 pages et bon nombre d’entre elles ont eu plusieurs versions. Une trentaine de pages n’ont pas trouvé leur place dans le livre. J‘ai à plusieurs reprises modifié des séquences et j’ai aussi inséré un chapitre tout entier. Mais je n’ai fait qu’une seule version du livre dans son ensemble.

Comment travaillez-vous ? De façon très disciplinée, ou quand l’inspiration vous submerge ?

Je crée presque toujours des œuvres d’art en série. Quand un thème me fascine c’est comme si une passion fiévreuse s’emparait de moi. Donc un nouveau thème est généralement le commencement d’une période de travail acharnée qui peut durer des mois, voire des années. Bien sûr, je ne peux pas soutenir cette flamme sans discipline de travail ni inspiration. Quant à Joachim Kniepstof, une fois ce projet commencé il ne me lâchait plus et me poursuivait jusque dans mes rêves. Même quand je regardais un film au cinéma, écoutais de la musique dans une salle de concert, faisais la queue pour un paiement en magasin, j’étais toujours occupé à penser à la façon dont je continuerais mon histoire. Bref, je travaille dans l’obsession, dans un état d’effervescence artistique !

Cette évocation d’un crayon spatial, une sorte de crayon magique au début du livre est-elle une métaphore de l’artiste et de son message ?

Oui, ce crayon joue un rôle très important dans l’histoire de Joachim Kniepstof.
Pour créer mes dessins j’ai choisi un crayon doux d’un noir très profond. Ce point rond au centre d’un cadre vide au début de l’histoire symbolise le tout premier contact du crayon avec le papier et le point de départ de chaque dessin. Mais il symbolise également l’origine du monde magique de Joachim Kniepstof, parce que c’est grâce au crayon qu’il peut se manifester et devenir visible.

Ce jeune rêveur qui chevauche des créatures fantastiques s’imagine-t-il dompter le monde et les éléments ?

Peut-être donne-t-il cette impression quand il chevauche un poisson-éléphant qui se déplace dans les airs tout en dirigeant une polonaise avec des créatures fabuleuses. Une impression renforcée par le crayon magique qu’il tient dans sa main. Pour écrire aussi bien des compositions musicales que, plus tard dans le livre, des pages qui ressemblent à des bandes dessinées.
Pourtant Joachim n’aspire pas à apprivoiser son univers. Bien sur, c’est un rêveur invétéré, mais détrompez-vous : il est aussi créatif et inventif dans le sens où il substitue son propre monde au monde réel.

Avec des taillures de crayon il fabrique un parachute… et découvre un volcan qui crache une fumée noire… Les hommes auraient-ils dénaturé le monde ?

Oh que oui et je crains que ce soit dans leur nature. Mais ce n’est pas ce qui préoccupe Joachim : il ignore autant que possible le monde réel. Cependant, son monde de rêves n’est pas exempt du mal et ne l’en protège aucunement.
Quant au volcan, c’est un thème récurrent dans mon travail depuis que, étant petit, mon frère aîné m’a montré comment fonctionnait un volcan en allumant un mélange de chlorate de potassium et de soufre enveloppé par une petite montagne de terre de forme conique. Ces mini-éruptions volcaniques m’ont beaucoup impressionné à l’époque. D’autre part, j’ai connu très tôt les célèbres estampes 36 visages du mont Fuji du japonais Hokusai et celles-ci m’ont bien sûr également beaucoup influencé.

Pouvez-vous nous parler de vos tours de Babel, c’est un des grands thèmes de votre œuvre.

Au début du livre un volcan de forme conique se transforme en tour de Babel qui à son tour se transforme en un gratte-ciel dans lequel Joachim écrit sa composition musicale.
L’origine du thème de la tour de Babel remonte aux eaux fortes que j’ai faites il y a une trentaine d’années. Mon sujet principal à cette époque était le mythe de l’oiseau Phénix. Souvent je le représentais sur un nid en haut d’un piédestal. Puis m’est venue l’idée de le représenter en trois dimensions, soit en bronze soit en argile cuite. Le piédestal de ces sculptures était fait des mêmes matériaux et en faisait donc partie intégrante. Petit à petit la forme du piédestal a changé. Il devenait de plus en plus important et j’y ajoutais de plus en plus de détails : la tour de Babel était née.
Les tours ont deux éléments qui ont une grande importance pour moi : sa montée en spirale et son inachèvement. La spirale symbolise l’effort continu de croissance et de développements des hommes. Le caractère incomplet est une métaphore pour la finitude de nos vies.

Ici elle se transforme en escalier. A quoi peut donc nous mener l’art ?

Vous voulez parler de la tour de Babel qui est renversée de son piédestal par une échelle qui lui prend sa place et se transforme en une sculpture abstraite et gracieuse au milieu d’une immense salle de musée. La séquence d’images qui suit montre comment cette salle se transforme en un espace hermétiquement clos et froid dans lequel se terminent les voies ferrées. C’est une scène clé du livre : le moment où le monde fantastique de Joachim bascule brutalement dans une réalité cruelle. C’est le mal impitoyable qui pendant une période met fin à tout ce qui est bon et beau. Mais la vie renaît et l’art prend le dessus.

Joachim découvre des rails de trains, des images grimaçantes qu’il feint d’ignorer en faisant des galipettes. Et puis c’est le choc… La chute brutale. Avez-vous pensé à la carte du Tarot « La Maison Dieu » quand il chute brusquement ? Est-ce pour lui la découverte du mal ?

Oui, c’est la confrontation avec le mal absolu et la chute dans la réalité. Joachim danse joyeusement au sommet d’un socle et s’aperçoit trop tard que l’espace autour change et devient menaçant. Un autre socle se transforme en la haute et étroite cheminée d’un crématoire. Joachim perd son équilibre et s’écrase. Il se retrouve dans un enfer qui dépasse l’imagination.

Cette découverte est insoutenable… Comment vous est venue cette image très impressionnante de visages effacés, entassés ?
C’est là un travail de mémoire…

C’est un monument à la mémoire de toutes ces innombrables victimes innocentes de la Shoah. À l’origine, je voulais répéter cette double page remplie de visages flous six fois de suite, mais une telle série d’images répétitives aurait ralenti le rythme de l’histoire. Je l’ai donc condensé dans cette composition expressionniste sombre et abstraite, dessinée sur deux pages, juste avant que Joachim ne parvienne à s’échapper de l’enfer.

Joachim s’échappe en récupérant son chapeau, puis surgissent des images du Phénix. C’est une image récurrente dans votre œuvre, liée à la tour de Babel… L’artiste aurait-il le pouvoir du Phénix ? Pouvez-vous nous rappeler cette légende ?

Ah, le mythe de l’oiseau Phénix… il en existe plusieurs versions.
Ma propre version est celle d’un oiseau qui, après avoir accompli une tâche difficile, retourne à son nid qui repose au sommet d’un ancien volcan. Dans le nid se trouve un œuf géant en position verticale. L’oiseau se retire sur, ou plutôt dans cet œuf, comme un escargot qui se retire dans sa coquille. Lorsque le soleil est à son point culminant dans le ciel, le nid prend feu. L’œuf et l’oiseau sont réduits en cendres, mais de ces cendres renaît un nouvel oiseau Phénix qui décolle et s’envole pour relever le prochain défi. Voilà donc pourquoi le Phénix surgit à la fin de cet épisode dramatique du livre …

Face au néant, Joachim dessine des êtres fantastiques, il s’agrippe mais sa montgolfière devient une tête de mort. Est-ce l’évocation de l’angoisse profonde qu’il ressent ?

C’est l’une des scènes les plus oniriques du livre: d’abord un Joachim aux yeux fermés remplit des pages avec d’étranges dessins. Ceux-ci se transforment en immeubles d’appartements. Les cadres des dessins deviennent des fenêtres. Dans une d’elles apparaît Joachim lui-même tandis qu’une montgolfière flotte dans l’air. Il sort par la fenêtre, attrape le ballon et se laisse emporter jusqu’à ce qu’il descende dans une forêt psychédélique.
Le ballon qu’il tient dans ses mains s’est depuis transformé en un crâne colossal que Joachim laisse s’envoler et disparaître. Durant toutes ces transformations Joachim ne semble éprouver aucune crainte. Il a l’air joyeux, comme si tout cela n’était qu’un jeu pour lui.
Naturellement, la figure de Joachim est fictive et bien sûr la mort ne l’est pas. Sans aucun doute j’ai ici exprimé mes propres angoisses existentielles.

Angoisse de la cruauté, guerre, violence, être mi-homme mi- animal enchaîné qu’il délivre tel Don Quichotte. Mais la nature revient sur la scène avec un arbre millénaire, un papillon… Après des images de déshumanisation, de destruction, peut-on garder espoir, à la fin du livre Joachim trouve une longue-vue et semble prendre une distance ?

La longue vue lui permet d’observer le paysage au loin en détail et lui permet de trouver une issue. Il découvre un sac à dos au fond d’un puits et part vers de nouveaux horizons. C’est comme si l’histoire ne faisait que commencer, bien que ce soit la fin du livre. Une fin bizarre peut-être, mais toute la page est très étrange, car elle suggère que tout ce que nous avons vu auparavant n’était que des images d’un film. La dernière image de cette page montre Joachim vu de dos, bâton de marche à la main, s’éloignant vers l’horizon comme à la fin d’un film.

Parlez-nous du film qui a suivi le livre et de votre travail avec un ami cinéaste, Andras Hamelberg, en quoi le film est-il venu compléter le livre ?

Oui, avec plaisir. Comme je viens de le dire, à la fin du livre je fais allusion à l’aspect film, mais l’idée d’en faire un ne m’était pas encore venue à l’esprit. Etait-ce un souhait secret ou une pure coïncidence? Qui sait…
Ce qui est sûr c’est que le film que nous avons fait n’est pas une adaptation cinématographique littérale du livre. C’est plutôt une nouvelle version de JK avec des qualités propres et distinctes, bien que les points dramatiques culminants soient pareils : la Shoah et le Phénix.
A présent Joachim Kniepstof est le nom d’un projet qui regroupe un livre, quelques courts métrages, un film d’une quinzaine de minutes et un site web.
Le livre et le site web sont des œuvres que j’ai créées seul. Les courts métrages et le film ont été créés en collaboration avec le cinéaste Andras Hamelberg et le musicien indépendant Daan Kampman. Cette collaboration était complètement nouvelle pour moi, tout comme le médium cinématographique. C’était un vrai bonheur de travailler avec eux, parce que j’ai découvert que nous avons la même approche créative : nous travaillons sans concept en laissant toute sa place à notre intuition. Cette coopération nous a tellement plu à tous les trois que nous avons l’intention de la poursuivre. En fait, a présent il y a un nouveau court métrage que nous avons créé ces derniers mois. Celui-ci est très cosmique et fait référence à la pandémie.

Après avoir terminé le livre, je repense à cette image du début, où on voit Joachim seul, pensif, il me semble que c’est sa première apparition. Elle me semble très significative de l’ensemble de cette oeuvre : pourriez vous brièvement nous la commenter ? 

Oui, bien sûr, c’est une image emblématique. Pour cette raison je l’ai mise sur la couverture du livre. Elle montre le portrait de Joachim, les yeux fermés, perdu dans ses pensées, mais rêvant tout autant… Il à l’air serein… contemplatif… Avec ce portrait, je voulais préciser que toutes les images qui suivent peuvent être considérées comme les images intérieures de Kniepstof. Qu’elles sont des images de rêve…

Si vous pouviez résumer votre œuvre Joachim Kniepstof en trois mots, quels seraient-ils ?

Trois Catherine…? Je pensais que la première question était la plus difficile…
Joachim Kniepstof n’est pas seulement un livre, c’est avant tout une oeuvre d’art, et comme telle, on ne pourrait pas la résumer en trois mots.

Nous laisserons donc le lecteur et amateur d’art se plonger dans l’aventure de Joachim Kniepstof, et s’embarquer avec lui dans sa montgolfière, un voyage dans le temps, l’histoire, l’espace… l’espoir.

Merci à vous, Frank
Merci, Catherine

Catherine Delamarre est écrivain et biographe de Thérèse d’Avila. Elle a déjà interviewé Frank Porcelijn en 2008 : « Les tours de Babel de Frank Porcelijn, une métaphore »
in Art Bourgogne International, revue en ligne.

Les tours de Babel de Frank Porcelijn : une métaphore.

Autour des tours de Babel de Frank Porcelijn s’enroule comme un long ruban, une frise grouillante. Maisons, fenêtres, passages, ponts, amalgames éclectiques. Ces tours, loin d’être des ruines, même si les hommes n’y figurent pas, révèlent l’agitation fébrile d’une termitière humaine, avide de construire. Car malgré les interdictions d’un Dieu jaloux, ils édifieront une deuxième tour au sommet de la première, à l’abri des regards
Car ne nous y trompons pas. Ces tours de Babel sont une métaphore de l’inlassable création artistique. Elles nous rappellent que tout travail, même inachevé, est une construction ; que sans toutes les fenêtres et les ouvertures, il n’y aurait pas de tours de Babel ; que l’artiste a toujours en tête une idée de complétude, d’achèvement. L’œuvre est évidence, élan, comme la nature qui sans cesse se renouvelle.Les tours de Babel existaient déjà dans les sculptures de Frank Porcelijn représentant le phénix. Cet oiseau légendaire sort peu à peu d’un œuf, perché sur un socle. L’œuf émerge d’un nid qui se consume, à l’image du travail intérieur. De cette mutation, de cette série de phénix, seul est resté le socle, devenu ziggourat. L’oiseau a pris son envol, l’artiste est confronté à la vraie vie créative.
Du sommet, on observe les spirales, les fondations : l’œuvre est évolutive. Les tours de Babel se situent entre peinture et sculpture. Chaque face est un tableau traité en détail, comme une eau forte. Frank Porcelijn a longuement étudié les stupas en Inde, s’interrogeant sur le principe de leur construction. C’est cette interrogation, cette insatiable curiosité intellectuelle qui caractérise Frank Porcelijn, amoureux de la nature, recherchant une vision globale de l’histoire des hommes, dans leurs combats contre l’adversité.
Comme cette tour qui représente Amsterdam et sa lutte contre la mer, établissant des barrières contre les eaux, créant des échanges commerciaux. La devise de la province de Zélande, « Je lutte et j’émerge », symbolise bien le dynamisme de la Hollande, la puissance maritime d’Amsterdam au dix-septième siècle. Les tours de Frank Porcelijn provoquent chez le spectateur un saut dans la créativité, le toucher, le monde de la sculpture et du palpable, de la terre, amalgame compact de la composition toujours ouverte et en devenir.


Catherine Delamarre,
La Tagnière, France 2008

 

  ENGLISH  

Who – or what – is Joachim Kniepstof?

It is the year 1967, I am 20 years old and have recently enrolled in the Amsterdam Art Academy. I’ve been given my first silk-screen print assignment: draft a striking poster with a catchy message. I draw a horse-sized snail with a smiling boy sitting on its shell who is the hero of an imaginary strip. The boy holds the reins with one hand while waving cheerfully with the other. On his head he wears a striking wide-rimmed hat. At the bottom of the poster I write:

READ THE ADVENTURES OF JOACHIM KNIEPSTOF

It’s the only silk-screen print I ever made, and I didn’t become a cartoonist. But the idea of creating a strip about Joachim Kniepstof remained dormant ever since.

Fifty years later I’m sitting at the drawing table in my studio with an empty sheet before me and in my hand a sharp pencil. I’ve decided that it’s time to realize my old ambition; I’m going to draw a black and white strip. It will have neither subtitles nor speech balloons, so it will be textless. I start without script or scenario, because I want to focus on the form and shape. I put my trust in my intuition: the meaning will evolve naturally from the sequence of images.
The starting point is, of course, Joachim Kniepstof. However, he is the leidmotiv rather than the main character; an elusive being, who mysteriously appears and disappears. Even his appearance keeps changing, the only constant being his hat.

The images start invading my head, and keep coming …. The strange thing is that they don’t seem to come from my imagination. It’s as if they already existed in a hidden reality. Capturing them on paper is an ongoing struggle, and developing, stilyzing and simplifying each drawing is a painstaking process.

Slowly the content of each frame takes shape. To my own surprise I see archetypes, symbols and images that I’ve incorporated in my other art works making their appearance as eggs, snakes, the Phoenix, the tower of Babel, ladders, vulcanos and air balloons start populating the frames. Another theme that won’t be ignored and demands its place is the Shoah.

The associative images that emerge are tangled and their development doesn’t comply with conventional logic. They evolve in unpredictable ways and are linked in ways that are difficult if not impossible to put into words, as happens in dreams, hallucinations and nightmares.

The end-result is a story in which Joachim Kniepstof has a quite different role from the one I imagined half a century ago. So you won’t be watching a hero in an exciting series of adventures, but rather a dreamer, a sleepwalker, lost in an absurd and disturbing world.

Welcome to the intriguing and mysterious universe of
Joachim Kniepstof

 

  DEUTSCH  

 

Turmskulpturen

(Translated from Dutch by Sonja Karle)

Frank Porcelijn arbeitet seit vielen Jahren an Objekten aus Keramik, welche auf den mythischen Turm von Babel verweisen. Es sind Türme, die einer Millionenstadt gleichen; ein menschlicher Termitenhügel, der immer weiter wächst. Es scheint, als ob das Bauen niemals ein Ende findet, eben sowenig wie das Streben nach Vollendung.
Diese Skulpturen sind Projektionen einer innerlichen, melancholischen Lebensanschauung: Die Sehnsucht nach der Vergangenheit verschmilzt mit einem optimistischen Vertrauen in die Zukunft.
Damit ist Babel in erster Linie eine Metapher für schöpferische Phantasie.

Bildsprache:
Geburt und Tod
Evolution und Wachstum
Vergänglichkeit

Diese Begriff sind grundlegend für die Bildsprache Frank Porcelijns. Der Vogel Phönix, der aus der Asche aufersteht, Leitern, Eier und Spiralformen kehren in all seinen Arbeiten regelmäßig zurück.

“Die Idee des Turms zu Babel ist entstanden aus einem Thema, das ich auch in vielen meiner Radierungen verwende: der Phönix. In den ersten Phönixskulpturen steigt der Vogel aus einem Nest empor, welches hoch oben auf einem Sockel ruht. Vogel und Nest verändern sich in ein aufrecht stehendes, aufgebrochenes Ei und der Sockel wird zu einem turmartiges Bauwerk. Eiform und Turm verwachsen immer mehr miteinander. Die ursprüngliche Öffnung des Eies wird nun das oberste unvollendete Teil des Turms. Es ist ein organisch geformtes Bauwerk entstanden, wovon die innere Struktur sichtbar bleibt. Die Skulptur behält damit seinen offenen Charakter.”

“BABYLON – WUNDER, WAHN UND WIRKLICHKEIT”
Kunstpreis der Bernd und Gisela Rosenheim-Stiftung 2016
ISBN 978-3-9813067-6-7

 

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